Un peu de théorie…

Les garrigues

Les garrigues sont des formations végétales basses, en grande partie composées d’arbustes, d’arbrisseaux et de sous-arbrisseaux, ainsi que de nombreuses espèces de plantes aromatiques, offrant un milieu plus ou moins ouvert. Les garrigues se sont développées sur la base d’une variabilité géologique et grâce à des conditions climatiques particulières, ainsi que des activités humaines (exemple : pastoralisme) qui ont engendré la régression de la forêt méditerranéenne (Thompson 2005).

Garrigue et Pic-Saint-Loup

Les garrigues sont reconnues pour leur remarquable biodiversité (Myers et al. 2000).
Cependant, en conséquence de l’exode rural survenu dans les années 1950, les garrigues disparaissent au profit de la forêt à chêne vert (Debussche et al. 1999).

Ce changement paysager a induit plusieurs phénomènes :

  • une régression de l’abondance d’espèces rares (Sirami et al. 2010),
  • une augmentation des risques d’incendie (Trabaud 1989).

Les garrigues sont au cœur des préoccupations et leur devenir suscite de plus en plus l’intérêt des divers acteurs locaux (habitants, collectivités, associations, entreprises, institutions…).

En savoir plus sur les garrigues : Collectif des Garrigues (2013) Atlas des Garrigues : regards croisés. Ed. Écologistes de l’Euzière, 360p.

Les Plantes Aromatiques Médicinales (PAM)

Parmi la remarquable diversité d’espèces présentent dans milieux ouverts méditerranéens, on y trouve de nombreuses espèces de PAM : thym, romarin, lavande, sarriette, origan…

Les plantes aromatiques produisent naturellement des huiles essentielles. Les huiles essentielles sont sécrétées et concentrées dans de petites glandes, ressemblant à des petites bulles de couleur ambrée et situées sur les parties vertes de la plante (jeunes tiges, feuilles et calices).

Les huiles essentielles sont des molécules qui ne participent pas directement au développement de la plante. Elles ont de multiples rôles pour la plantes : résistance aux conditions difficiles, protection contre les prédateurs et les parasites, attraction des pollinisateurs, etc.

En résumé : plus les conditions dans lesquelles une plante aromatique pousse sont difficiles (chaleur, soleil, sècheresse…), plus elle sera riche en arômes !

Les chémotypes de thym : une formidable diversité d’odeurs

Une particularité du thym (Thymus vulgaris) à l’état naturel concerne sa diversité d’odeurs.

En effet, le thym s’est adapté à son environnement en faisant évoluer la composition de son huile essentielle, on parle alors de chémotype. Les chémotypes permettent au thym de s’adapter aux facteurs biotiques (environnement) et abiotiques (parasites, prédateurs, pollinisateurs…).

Dans les garrigues on rencontre 6 chémotypes majeurs, dont la répartition dépend des conditions environnementales : on trouve des individus phénoliques qui poussent dans des milieux chauds et secs, ce sont les chémotypes thymol et carvacrol ; et des individus non phénoliques qui poussent dans des milieux plus frais et plus humides, ce sont les chémotypes linalol, thuyanol, alpha-terpineol et géraniol.

chémotypes du thym
Un septième chémotype (à Cinéol – aux notes très marquées d’eucalyptus) a même été découvert dans les années 2000 (Keefover-Ring et al. 2009).

Il est à noter que la répartition des chémotypes de thym est évolutive dans le temps.

En 2013 une équipe de recherche du CNRS de Montpellier a démontré que le thym pouvait être considéré comme un indicateur biologique du changement climatique (Thompson et al. 2013).

En savoir plus sur la biologie et l’écologie du thym : Joyeux H. Bouguet G. (2013) Le thym et le chirurgien. Ed. Du Rocher, 217P.

La cueillette des PAM en garrigues : 1000 ans d’histoire

Située sur la route de Saint Jacques de Compostelle, la ville de Montpellier est très tôt devenue un pôle d’échange de savoirs et de marchandises. Son commerce florissant et sa population cosmopolite ont favorisé le développement des sciences, avec notamment la mise au point de nouveaux procédés d’extraction (e.g. la distillation par Arnaud de Villeneuve) ouvrant la porte à l’élaboration d’une multitude de produits parfumés : eaux de senteurs, poudres parfumées, crèmes, essences, infusions, vinaigres…

Il est intéressant de remarquer qu’une des origines du nom de Montpellier serait Mons Pistillarius : « Mont des épices/épiciers ».

Conjointement à l’essor de la ville de Montpellier, l’activité de cueillette des PAM s’est développée dans les garrigues, ou les plantes comme le thym, le romarin, la sarriette, ou encore la lavande aspic, étaient naturellement abondantes et d’une grande qualité. Les plantes étaient cueillies manuellement par les populations locales des villages, pour être ensuite transformées et portées à la ville.

La qualité des matières premières et des savoir-faire était telle que bon nombre de préparations de l’époque furent rebaptisées « à la mode de Montpellier », comme ce fut le cas de la célèbre Thériaque. L’eau de la Reine de Hongrie (un hydrolat de Romarin) fut un des parfums les plus renommés à travers toute l’Europe pendant plusieurs siècles et sa fabrication à Montpellier était la garantie d’une grande qualité.

Du 12ème siècle et jusqu’au début du 20ème, les garrigues ont ainsi fourni de très importantes quantités de plantes aux parfumeurs, apothicaires, herboristes, épiciers, etc. Puis, pour de multiples raisons (le renforcement de la concurrence espagnole, la plantation de vignes, la disparition du diplôme d’herboriste en 1941, ou encore le développement de la chimie de synthèse), l’industrie des PAM connut une importante phase de récession durant la première moitié du 20ème siècle. En témoigne les chiffres suivants : alors qu’en 1910, 15 tonnes d’Huile Essentielle (HE) de lavande aspic, 10 tonnes d’HE de romarin et 10 tonnes d’HE de thym étaient produites dans les garrigues héraultaises, en 1919 la production n’était plus que de : 3-4 tonnes d’HE d’aspic et 300 kg de thym et romarin confondus (Juillet et Rodié 1920).

Enfin suite à l’exode rural dans les années 50, les derniers cueilleurs professionnels ont arrêté leurs activités les uns après les autres, faits de leur âge et faute de jeunes repreneurs (Bouguet 2010).

En savoir plus sur l’histoire de Montpellier et de la cueillette en garrigue : Joyeux H. Bouguet G. (2013) Le thym et le chirurgien. Ed Du Rocher, 217p. & Collectif des Garrigues (2013) Atlas des Garrigues : regards croisés[. Ed. Écologistes de l’Euzière, 360p.

Quel avenir pour les PAM ?

Les PAM entrent dans la composition de nombreux produits cosmétiques, pharmaceutiques, phytothérapeutiques, alimentaires ou condimentaires. Depuis plusieurs décennies, elles sont de plus en plus demandées sur le marché international (Hamilton 2004 ; Lange 1998, 2006) et les prévisions pour les années à venir indiquent que ce marché devraient continuer de progresser d’environ 10% par an (Agro-Média.fr 2017 ; Ilbert et al. 2016).

En volume de PAM, la France se place au 6ème rang mondial des pays importateurs et au 12ème rang mondial des pays exportateurs (Lange 2006 ; Ilbert et al. 2016).

En France, la consommation de produits Bio, et notamment de PAM Bio, est en constante augmentation, principalement en raison d’un engouement de la part de consommateurs soucieux de retrouver plus de « naturalité », de santé et de sécurité dans les produits qu’ils consomment. Cependant, malgré l’augmentation des superficies consacrées aux PAM, la production française reste encore insuffisante face aux besoins des entreprises et plus largement du marché national, très demandeurs en produits de qualité (Interbio Occitanie 2018 ; DRAAF 2018 ; Agriculture.gouv.fr 2017).

Dans un contexte d’accroissement de la demande, la production de PAM doit se développer de manière coordonnée et dans le respect des principes du développement durable. La publication de Schippmann et al. (2002) nous propose une voie de développement pour répondre durablement aux besoins à venir : la mise en place de plans de management pour l’utilisation durable des ressources naturelles en PAM, incluant la recherche d’un équilibre entre culture et cueillette,

Sources :

Agriculture.gouv.fr (2017) Plan de la filière des Plantes à Parfum, Aromatiques et Médicinales. Récupéré le 3 février 2019 depuis le site : https://agriculture.gouv.fr/telecharger/88413?token=14e8b4ac644a7bef5c891f49d4bda200

Agro-Média.fr (2017) Le marché mondial des huiles essentielles en progression. Consulté le 3 février 2019 sur le site : http://www.agro-media.fr/actualite/marche-mondial-huiles-essentielles-progression-26700.html

Bouguet G. (2010) La cueillette du thym dans les garrigues : décrire un savoir écologique traditionnel, l’intégrer dans un processus d’ingénierie écologique. Rapport de stage de Master 2 Ingénierie en Ecologie et Gestion de la Biodiversité, Université Montpellier 2.

Debussche M., Lepart J., Dervieux A. (1999) Mediterranean landscape changes : evidence from old postcards. Global Ecology and Biogeography, 8: 3-15.

Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt Occitanie (2018). La filière PPAM en Occitanie. Consulté le 3 février 2019 sur le site : http://draaf.occitanie.agriculture.gouv.fr/Une-filiere-en-structuration

Juillet A., Rodié J. (1920) Notice sur les plantes médicinales et à essences de l’Hérault. Comité des Plantes Médicinales et à Essences de la Région de Montpellier, Montpellier, 48p.

Keefover-Ring K., Thompson J.D., Linhart Y.B. (2009) Beyond six scents : defining a seventh Thymus vulgaris chemotype new southern France by ethanol extraction. Flavour and Fragrance Journal, 24 :117-122.

Hamilton A. (2004) Medicinal plants, conservation and livelihoods. Biodiversity and Conservation. 13: 1477-1517.

Ilbert H., Hoxha V., Sahi L., Courivaud A., Chailan C. (2016) Le marché des plantes aromatiques et médicinales : analyse des tendances du marché mondial et des stratégies économiques en Albanie et en Algérie. Cahiers Option Méditerranéennes, Série B : Études et Recherches, n°73.

Interbio Occitanie (2018) L’observatoire régional de l’agriculture bio en région – Les chiffres-clés des filières bio régionales. Récupéré le 7 février 2019 du site https://www.sud-et-bio.com/sites/default/files/uploaded_files/untitled%20folder/CC2017_Occitanie_VF.pdf

Lange D. (1998) Europe’s medicinal and aromatic plants: their use, trade and conservation. TRAFFIC publications. Récupéré le 12 mars 2010 du site http://www.traffic.org/plants/

Lange D. (2006) International trade in medicinal and aromatic plants. Medicinal and Aromatic Plants: Agricultural, Commercial, Ecological, Legal, Pharmacological and Social Aspects. Ed. Springer, Vol. 17: 155-169, 309p.

Myers N., Mittermeir R.A., Mittermeir C.G., Da Fonseca G., Kent J. (2000) Biodiversity hotspots for conservation priorities. Nature, vol. 403, 853-858.

Schippmann U., Leaman D.J., Cunningham A.B. (2002) Impact of Cultivation and Gathering of Medicinal Plants on Biodiversity : Global Trends and issues. Food and Agriculture Organisation. Récupéré le 16 avril 2010 du site http://www.fao.org/docrep/005/AA010E/AA010e00.htm

Sirami C., Nespoulos A., Cheylan J.P., Marty P., Hvenegaard G., Genies P., Schatz B., Martin J.-L. (2010) Long-term anthropogenic and ecological dynamics of a Mediterranean landscape : Impacts on multiple taxa. Landscape and Urban Planning, 96: 214-223.

Thompson J.D. (2005) Plant Evolution in the Mediterranean. Editions Oxford University Press, New York, 293p.

Thompson J.D., Charpentier A., Bouguet G., Charmasson F., Roset S., Buatois B., Vernet P, Gouyon P.-H. (2013) Evolution of a genetic polymorphism with climate change in Mediterranean landscape. Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), 110: 2893-2897.

Trabaud L. (1989) Les effets du régime des feux: exemples pris dans le bassin méditerranéen. Cahiers Option Méditerranéennes, CIHEAM, 3: 89-94.